Avis concernant le mandat du Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés (CEPMB)

 

(Révisé - octobre 2020)

L’Alliance des patients pour la santé (APS) rassemble 28 associations et regroupements de patients au Québec, dont certains interviennent aussi à l’échelle canadienne, et se veut représentative de plus de 200 associations œuvrant directement auprès des patients dans des domaines tels la santé mentale, les maladies chroniques, le cancer, les maladies rares et le soutien aux proches aidants.

 

D’entrée de jeu, l’Alliance des patients pour la santé ne peut que saluer l’intention du gouvernement du Canada de rendre les médicaments plus abordables au pays. Toutefois, l’Alliance est préoccupée à la fois par l’accessibilité des médicaments, en particulier aux nouveaux médicaments, et par leurs prix. Comme vous le savez sûrement, au Québec, le régime d’assurance-médicaments assure une couverture publique à environ 40 % de la population, les assureurs privés couvrant les autres 60 %. Par ailleurs, le Québec a aussi un mode distinct d’évaluation des médicaments.

 

L’intérêt public ?

 

Dans une correspondance adressée le 24 octobre 2017 à la ministre de la Santé du Canada, l’Honorable Ginette Petitpas Taylor, nous soulevions les questions suivantes :  est-ce que la nouvelle réglementation garantira l’accès aux meilleurs médicaments sur le marché ? À quel prix ? Est-ce qu’elle freinera ou facilitera les essais cliniques découlant de l’introduction des nouvelles thérapies ? Quel rôle joueront les associations de patients ? Évidemment, nous ne sommes pas des experts de cette problématique extrêmement complexe, qui n’est d’ailleurs pas unique au Canada. Ce qui nous importe avant tout, c’est l’intérêt du patient. Est-ce qu’il profitera de tous ces changements ? Or, les lignes directrices proposées pour la révision du mandat du Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés (CEPMB) n’offrent pas de réelles réponses à ces questions.

 

Par ailleurs, comme le gouvernement fédéral souhaite confier un double mandat au CEPMB, soit de contrôler les prix des médicaments au Canada et d’évaluer la valeur thérapeutique de certains d’entre eux, nous nous interrogeons sur l’à-propos de ce double mandat.

 

Prenons le premier volet de ce double mandat, soit le contrôle des prix des médicaments. Les provinces canadiennes disposent déjà d’un mécanisme commun de négociation des prix des médicaments novateurs et génériques, l’Alliance pancanadienne pharmaceutique, auquel participe d’ailleurs le gouvernement fédéral par le biais des régimes fédéraux de santé.

 

Il y a quelques années, au moment où elle annonçait l’adhésion du fédéral à l’Alliance pancanadienne pharmaceutique, la ministre de la Santé de l’époque, madame Jane Philpott, déclarait qu’« à ce jour, l'Alliance pancanadienne pharmaceutique a mené à bien plus de 89 négociations sur des médicaments de marque et réussi à faire baisser le prix de 14 médicaments génériques, ce qui représente des économies combinées de plus de 490 millions de dollars par année. »[1] Une nouvelle entente a même été annoncée le 29 janvier dernier (incluant le gouvernement fédéral) et aura pour effet de réduire le prix de près de 70 des médicaments génériques les plus fréquemment prescrits au Canada, notamment pour traiter l'hypertension, l'hypercholestérolémie et la dépression.[2]

 

Au Québec, le ministre de la Santé et des Services sociaux, docteur Gaétan Barrette, a déjà souligné que l’adhésion du Québec à cette Alliance avait donné de bons résultats, permettant des économies substantielles à l’État et aux patients, selon ses dires, en remboursement du coût de médicaments. Alors, il est légitime de demander en quoi le nouveau rôle du CEPMB à cet égard profiterait davantage aux Canadiens et aux Québécois…

 

En réalité, nous sommes bien plus préoccupés par les conséquences de l’introduction d’un nouvel acteur qui générera inévitablement de nouveaux délais avant la mise en marché de nouveaux médicaments et retardera la mise en place d’essais cliniques qui, comme vous le savez, offrent de nouvelles opportunités thérapeutiques aux patients. Pour les patients, la question la plus importante est de savoir si cette nouvelle mécanique rendrait les médicaments plus accessibles, c’est-à-dire plus disponibles, et si les baisses de prix iraient directement aux « consommateurs ». C’est ce qui devrait préoccuper le Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés.

 

Quant au second volet proposé, soit celui d’évaluer la valeur thérapeutique des médicaments, depuis une trentaine d’années, l’Agence canadienne des médicaments et des technologies de la santé de même que l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (auparavant Conseil du médicament) jouent déjà ce rôle. Ces instances « ont développé une expertise relative à l’évaluation de la valeur économique et thérapeutique des médicaments. L’ajout du CEPMB à titre de nouvel évaluateur fait sourciller d’autant plus qu’une duplication des ressources (ACMTS et INESSS) destinées à l’analyse de la valeur du médicament est déjà discutable. » [3] 


Devant cette situation, n’étant pas des experts, comment voulez-vous que les patients s’y retrouvent ? C’est déjà compliqué actuellement, est-ce que ça deviendrait plus simple avec l’ajout du CEPBM dans la partie ? Nous nous permettons d’en douter fortement et invitons le gouvernement fédéral et la ministre de la Santé à revoir cette proposition. Surtout, nous voulons à tout prix éviter que les patients fassent les frais d’une nouvelle querelle de juridiction fédérale-provinciale.

 

Une priorité : répondre aux besoins des patients

 

Dans le Document d’orientation sur les lignes directrices du CEPMB, celui-ci invite les intervenants à réfléchir sur certaines questions, dont celle-ci, la première d’ailleurs :           « Quelles considérations le CEPMB devrait-il prendre en compte pour déterminer les médicaments qui doivent être jugés hautement prioritaires ? » En ce qui nous concerne, la réponse est très claire : les besoins des patients.

 

L’évolution des pratiques professionnelles et les développements technologiques, notamment sur le plan des thérapies médicamenteuses, offrent de plus en plus d’alternatives pour le traitement des patients, la guérison de leur maladie et l’amélioration de leur qualité de vie. Les patients, quel que soit leur lieu de résidence, veulent y avoir accès. Ils paient des impôts, des taxes et des primes d’assurance pour pouvoir en bénéficier en toute équité. Malheureusement, cela n’est pas toujours le cas.

 

Nous ne voulons pas que les patients du Québec, comme ceux du Canada, aient à faire face à des disparités d’accès aux médicaments selon leur lieu de résidence ou qu’ils rencontrent des difficultés d’accès tout simplement parce que leur gouvernement aura adopté de nouvelles mesures bureaucratiques rendant plus complexes les processus d’évaluation et d’introduction sur le marché des nouveaux médicaments. Ces processus sont déjà trop longs et privent ainsi l’accès au traitement requis.

 

Conclusion

 

L’Alliance des patients pour la santé estime que la rigueur et la vigilance doivent demeurer au cœur des préoccupations des institutions qui ont le mandat d’approuver la mise en marché des nouveaux médicaments et d’en assurer une disponibilité équitable à l’ensemble des personnes qui en ont besoin. Dans cette optique, nous suggérons au CEPMB de se pencher plus sérieusement sur le rôle et la contribution des associations de patients pour la prise en compte des priorités. Nous croyons aussi que ce débat sur le nouveau mandat du CEPMB devrait faire l’objet de discussion chez les ministres de la Santé des provinces. Car, après tout, la santé est de juridiction provinciale.

 

Par ailleurs, en 2017, le Québec s’est doté d’une Stratégie québécoise de la recherche et de l’innovation. Cette stratégie, largement consensuelle, est censée favoriser un accès raisonnable et équitable aux médicaments et encourager l’innovation. Nous espérons qu’elle profitera aux patients et nous souhaitons que sa mise en œuvre ne soit pas entravée par l’émergence de nouveaux obstacles bureaucratiques.

 

L’Alliance des patients pour la santé tient à vous manifester sa plus entière collaboration dans l’espoir qu’une plus grande implication des associations de patients puisse offrir de nouvelles opportunités de faire connaître les besoins des patients à tous les niveaux du système de santé.


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[1] https://www.canada.ca/fr/sante-canada/nouvelles/2016/01/le-gouvernement-du-canada-s-associe-avec-les-provinces-et-les-territoires-pour-reduire-le-prix-des-produits-pharmaceutiques.html?=undefined&wbdisable=true

 

[2] http://www.lapresse.ca/actualites/sante/201801/29/01-5151894-pres-de-70-medicaments-generiques-seront-vendus-moins-cher.php

 

[3] Mélanie Bourassa Forcier, LL.L., LL.M., M.Sc, D.C.L. Professeure agrégée, directrice du programmes de droit et sciences de la vie et de droit et politiques de la santé, Université de Sherbrooke, Fellow, CIRANO, publié dans La Presse, le 5 février 2017.